20 Alors s’approche de lui (Jésus) la mère des fils de Zébédée, avec ses fils. Elle se prosterne pour lui demander quelque chose . 21 Il lui dit : « Que veux-tu ? » Elle lui dit : « Dis que ceux-ci, mes deux fils, s’assoient, un à ta droite et un à ta gauche, dans ton royaume. » 21 Jésus répond et dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez : pouvez-vous boire à la coupe que moi je vais boire ? » Ils lui disent : « Nous pouvons! » 23 Il leur dit : « Ma coupe, vous la boirez. Quant à s’asseoir à ma droite et à gauche, ce n’est pas à moi de le donner, mais … pour qui c’est préparé par mon père ».

Traduction utilisée pour l’analyse

Les Évangiles, les quatre, Matthieu, Marc, Luc, Jean ;

Nouvelle traduction par Sœur Jeanne d’Arc, op ;

Desclée de Brouwer ; Paris ; 1992.

RÉFLEXION

Synoptiques

Ici le scribe Matthieu a modifié le texte de Marc dont il s’est servi pour construire son propre évangile. Ce qu’avaient fait Jacques et Jean comme demande à Jésus en Marc, ici en Matthieu, c’est « la mère des fils de Zébédée » qui le fait à leur place. Luc, lui, n’a pas retenu ce passage de Marc. Lui qui, toujours, fait preuve de grande délicatesse, il l’a peut-être trouvé trop osé, déplacé même. Cette expression « la mère des fils de Zébédée », on ne la retrouve nulle part ailleurs dans les autres évangiles. Seul Matthieu l’emploie et cela deux fois, ici en 20, 20 et plus loin en 27, 56 au Calvaire où « la mère des fils de Zébédée » est témoin de la mort de Jésus non seulement avec Marie de Magdala et Marie, la mère de l’autre Jacques et de son frère Joseph, mais aussi avec le centurion et ses hommes qui gardaient Jésus.

Trio féminin et trio masculin

Marie de Magdala, Marie la mère de Jacques et de Joseph et « la mère des fils de Zébédée » 27, 56 nous font penser à Pierre, Jacques et Jean. Ces trois leaders féminins cités une fois par Matthieu sont témoins du moment le plus sombre de la vie de Jésus. Les trois leaders masculins, nommés deux fois en trio chez Matthieu, sont eux témoins de deux moments importants de la vie de Jésus : l’un éclatant, sa transfiguration 17, 1 et l’autre plus sombre son agonie à Gethsémani 26, 37. À la mort de Jésus, Matthieu ne parle pas de la présence masculine des apôtres ou disciples de Jésus. Le seul « disciple » sera Joseph, « un homme riche d’Arimathie ». (27, 57)

Intervention de Pierre et intervention de « la mère des fils de Zébédée »

L’intervention de « la mère des fils de Zébédée » auprès de Jésus suit de près celle de Pierre questionnant Jésus sur la part dont ils hériteront parce qu’ils ont tout laissé pour le suivre 19, 27. Pierre est nommé par son prénom. Matthieu lui n’appelle pas notre personnage féminin comme Marc. Il a changé son prénom de Salomé en l’appelant par sa fonction de mère. Mais les fils, ici non nommés également par Matthieu, sont d’abord les fils d’un personnage masculin, son mari Zébédée comme dans la généalogie qu’il a faite de Jésus au début de son évangile 1, 1-17. Remarquons également qu’au texte dont il a hérité de Marc (10, 28-31), Matthieu rajoute et parle comme récompense de douze trônes sur lesquels, Jésus dit que siégeront les douze apôtres.

12… 4… 3… 2…1…

Aux aguets « La mère des fils de Zébédée » a sûrement entendu cette promesse de Jésus à Pierre. Elle sait que les douze trônes sont pour les douze apôtres qu’il a choisis. (10, 2) Ses deux fils sont de ce groupe privilégié. De plus « La mère des fils de Zébédée » sait que ses deux garçons sont parmi les quatre premiers appelés, tout de suite après « Simon, appelé Pierre et André son frère ». (4, 18) Enfin elle a vu Jésus « prendre avec lui » ses trois leaders Pierre, Jacques et Jean son frère et les amener, à l’écart, sur une haute montagne » (17, 2) Ils n’ont pas parlé de la vision qu’ils ont eue, mais « La mère des fils de Zébédée » et les autres les ont trouvés bien mystérieux. Qu’est-il donc arrivé ? Alors « La mère des fils de Zébédée » qui est ambitieuse et qui sait qu’il n’y a que deux places privilégiées auprès de Jésus, une à sa droite et une à sa gauche les demande pour eux comme si c’était un salaire qui leur était dû.

Salaire nécessaire

Pourtant Jésus venait tout juste de raconter la parabole des ouvriers envoyés à la vigne où il expliquait que la logique humaine devait être remplacée par la logique divine. Le dernier arrivé, même s’il n’a peiné qu’une heure, a droit au denier convenu avec les premiers à l’œuvre depuis le matin parce que c’est le montant nécessaire pour remédier aux urgences, pour subvenir aux frais de la famille. Ces derniers ou nécessiteux, ce sont eux en premier, qui doivent être secourus, servis par les chefs, ces premiers dans la logique humaine. (20, 24) « Beaucoup de premiers seront derniers » à secourir puisqu’ils n’en ont pas besoin dans le moment présent, mais beaucoup de « derniers seront premiers » parce qu’ils sont en urgence. (19, 30)

Numéro 1 Pierre

Matthieu est l’évangéliste qui parle le plus de Pierre quantitativement et qualitativement montrant plus que tout autre que Pierre devra être le premier dans l’assemblée à servir et que tous les autres reposeront leurs convictions sur la pierre, le roc de ce modèle, du moins après la résurrection et la Pentecôte.

Qui est-elle ?

Mais qui est-elle cette fameuse « mère des fils de Zébédée » ? C’est une femme comme toutes les femmes de ce temps-là qui ont perdu leur nom et portent celui de leur époux. Comme les autres femmes elle est définie non par ce qu’elle est, mais par son faire d’épouse du prospère Zébédée, propriétaire de barques qui a des employés qui travaillent pour lui. Elle est définie aussi par son rôle de mère, mais ses enfants sont d’abord les fils de Zébédée, et seulement les siens ensuite. Elle sert également dans ce nouveau projet. Donc comme le jeune homme riche (19, 16) elle possède beaucoup de biens. Comme lui, elle est habituée à l’aisance, à l’abondance, au confort. Elle est du type qui ne se contente pas de peu. Les biens cependant, elle a montré qu’elle n’est pas esclave de ceux-ci. Au contraire ceux-ci, elle n’a pas peur de s’en « servir » (27, 55) pour le projet-Jésus auquel elle s’investit fidèlement « depuis la Galilée ». (27, 55) Étant l’épouse de Zébédée le riche pêcheur-marchand, elle peut compter sur ces revenus qu’elle investit également. C’est peut-être là au marché à vendre les poissons qu’elle a appris à marchander pour subvenir à sa famille comme on l’a vu faire pour ses deux fils. C’est elle qui parle, mais contrairement à Pierre qui a parlé pour tous (19, 27), elle, ce n’est que pour ses deux fils qu’elle prend la parole. Elle est habituée d’être fonceuse, directe, « ratoureuse », « elle se prosterne devant Jésus ». Elle est ambitieuse pour ses deux fils. Elle a l’esprit de famille et est une véritable tigresse pour ses petits, mais elle oublie la nouvelle famille que construit Jésus. Pour suivre Jésus elle s’est détachée de tout, de son mari, de son commerce de poissons, de ses habitudes domestiques etc. Elle est présente, fidèle, persévérante et courageuse. Ce qu’elle demande à Jésus, ce n’est pas rien, c’est la totalité des places de choix collées sur lui, un à sa gauche et l’un à sa droite. Elle ne s’inquiète pas de ce qu’elle laisse aux autres, mais seulement des privilèges pour ses deux fils.

Conclusion

Jésus conclut en enseignant que les privilèges que doivent chercher les chefs, dont les 12, c’est de servir. Il ne l’a pas dit dans l’Évangile de Matthieu, mais pourquoi pas comme ces femmes qui le suivent depuis la Galilée ? Non seulement guérit-il deux aveugles à la sortie de Jéricho, mais pourquoi n’aurait-il pas guéri nos deux chefs, les « fils de Zébédée » de leur aveuglement à vouloir des honneurs ? Quant à leur « mère », elle continuera de servir même jusqu’à la croix et jusqu’à la mort de Jésus. Et si elle est absente du trio à l’ensevelissement (27, 61) et à l’aube du premier jour de la semaine (28, 1), c’est peut-être parce qu’étant la fortunée du trio, elle s’active juste avant le sabbat et juste après le sabbat à trouver et à acheter les aromates nécessaires pour continuer de servir dans cette urgence où Jésus est premier parce qu’ayant besoin d’être convenablement embaumé ?

Micho Lemieux | bibliste - Atelier biblique des 3B de la fondation La Présence